Table-ronde - Paroles menacées "L’investissement réactionnaire des savoirs : une menace pour la liberté académique ?"

19/04/2023

avec Eric Fassin, Université Paris 8, Eve Gianoncelli, Université de Loughborough, Simon Massei, Université Paris-Est Créteil & Michelle Zancarini-Fournel, Université Claude Bernard-Lyon 1

Souvent, la notion de liberté académique vise à protéger la liberté et l’autonomie des chercheur·ses face à l’action de l’État et d’autres acteurs institutionnels considérés comme particulièrement puissants, comme les Églises ou les multinationales. Indissociablement liée à l’exercice des libertés démocratiques, elle sert à la fois d’indice de qualité de la démocratie et de rempart contre la montée des autoritarismes et des fondamentalismes. Toutefois, elle procède souvent d’un réflexe défensif qui sert à dénoncer et se défendre contre des attaques. Elle tend à mettre l’accent sur ce qui est menacé, en train d’être détruit ou démantelé, oubliant que les attaques contre la liberté académique procèdent aussi de l’engagement positif d’un certain nombre d’acteurs, qui visent à changer la manière dont les savoirs sont construits et le contenu de ceux-ci. S’appuyant sur une vision libérale de la démocratie qui a longtemps fait l’objet d’un large consensus, la notion de liberté académique repose la plupart du temps sur une vision relativement neutre des savoirs, qui évacue la nature intrinsèquement politique de ceux-ci et les valeurs qui inspirent leur production. Cette table-ronde souhaite remettre ces questions au cœur du débat et enrichir ainsi la réflexion sur la liberté académique menée cette année à l’ULB, une institution qui se caractérise notamment par un ensemble de valeurs spécifiques. Elle posera la question de la nature politique des savoirs et s’intéressera à la manière dont divers acteurs réactionnaires tentent aujourd’hui de s’emparer de ceux-ci dans le cadre de la poursuite de divers projets politiques. Elle partira de l’exemple des études de genre pour poser des questions plus fondamentales qui se posent tout autant dans d’autres champs du savoir, telles que les études critiques de la « race » ou les questions religieuses.

Éric Fassin est professeur de sociologie au département d’Études de genre et au département de Science politique, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Il est chercheur au Laboratoire d’études de genre et de sexualité (LEGS, UMR 8238 : CNRS – Paris 8 – Paris Nanterre), et depuis 2021, membre senior de l’Institut universitaire de France (IUF). Il a enseigné plusieurs années en Angleterre (Londres, Cambridge) et aux États-Unis (en particulier à New York University). Il est régulièrement professeur invité dans de nombreuses universités (aux États-Unis, en Suisse, en Amérique latine, etc.). Il travaille scientifiquement et s’engage publiquement sur les questions minoritaires, sexuelles et raciales et leurs articulations, sur leur politisation dans les sociétés démocratiques et les enjeux autour de leurs représentations, politiques, littéraires et artistiques, sur les politiques d’immigration et d’identité nationale et sur les « populismes ». Il est régulièrement cité comme témoin dans des procès qui touchent à la question raciale. Il tient un blog sur Mediapart et publie régulièrement des tribunes d’intervention dans divers médias. Il a notamment publié ou codirigé De la question sociale à la question raciale (2006), Le sexe politique (2009), Démocratie précaire (2012), Roms & riverains : une politique municipale de la race (2014), Gauche : l’avenir d’une désillusion (2014), Discutir Houellebecq. Cinco ensayos críticos entre Buenos Aires y París (2015), Populisme : le grand ressentiment (2017). Il a réédité et postfacé Herculine Barbin, dite Alexina B. (2014, 2021) et il a récemment co-édité deux entretiens inédits d’Abdelmalek Sayad, Femmes en rupture de ban (2021). Deux ouvrages sont à paraitre : La savante et le politique (2023, avec Caroline Ibos), The State of Anti-Intellectualism (2023). Par ailleurs, il a codirigé plusieurs numéros de revue, dont « Les langages de l’intersectionnalité », Raisons politiques (2015) ; « Transatlantic Crossings », differences (2016, avec Anne E. Berger) ; « Représentation et non-représentation des Roms en Espagne et en France », Sociétés et représentations (2018, avec Marta Segarra).

Eve Gianoncelli est University Teacher in Politics and International Relations à l’Université de Loughborough et chercheuse invitée à la Maison française d’Oxford. Elle fut Deakin Fellow à St. Antony’s, université d’Oxford. Ses recherches se situent au croisement de l’histoire de la pensée et des idéologies politiques, de l’histoire intellectuelle et des études de genre. Sa recherche actuelle porte sur les reconfigurations du conservatisme du point de vue du genre et des rapports de pouvoir, dans une perspective comparative et transnationale entre la France, l’Italie, l’Angleterre et les États-Unis. Elle travaille également à la publication des derniers inédits de Paulette Nardal et de Claude Cahun qu’elle a étudiées dans sa thèse de doctorat. Elle a préfacé, avec François Leperlier les premiers écrits de cette dernière, parus sous le titre Il y a mode et mode (2022). Parmi ses publications récentes, on peut également citer « Anti-feminist Conservative Women Intellectuals and the Rhetoric of Reaction », The Political Quarterly (2021), « The unification of the ‘New Right’ ? On Europe, identity politics and reactionary ideologies’ », New Perspectives (2021). Le livre issu de sa thèse Le genre de la pensée. Figures du devenir intellectuelle au XXe siècle est à paraître aux PUR (coll « archives du féminisme).

Simon Massei est docteur en science politique et postdoctorant à l’Université Paris-Est Créteil (LIRTES-Parsie). Sa thèse de doctorat portait sur les politiques d'éducation à l’égalité entre les sexes en France et sur les mobilisations conservatrices qu’elles ont suscitées dans différentes régions de l’espace social au milieu des années 2010. Il a notamment enquêté sur deux mouvements opposés à l’enseignement de la « théorie du genre » à l’école, apparus dans le sillon de la Manif pour tous. Après avoir contribué au projet « Héritages coloniaux en Belgique » (HERICOL) coordonné par Abdellali Hajjat à l'ULB, il travaille désormais sur l'expression enfantine des rapports sociaux de race.

Michelle Zancarini-Fournel est professeure émérite en histoire des femmes et du genre à l’Université Claude Bernard-Lyon 1 et membre du laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) Axe Genre et Sociétés. Elle a soutenu un doctorat en 1988 à l’Université Lyon 2, Parcours de femmes. Réalités et représentations (1880-1950), et une habilitation à diriger des recherches en 1999 à l’Université Paris 1-Sorbonne, Histoire sociale des contestations des années 1968 (1962-1981). Elle est co-fondatrice et co-directrice (1995-2010) de la revue CLIO Femmes Genre Histoire et membre actuelle du comité de rédaction. Ses publications récentes comprennent les livres Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (2016), De la défense des savoirs critiques (2022, avec Claude Gautier), « Ne nous libérez pas, on s’en charge !» Histoire des féminismes de 1789 à nos jours (2020, avec Bibia Pavard et Florence Rochefort) et les numéros thématiques « À l’intersection des dominations », 20 & 21. Revue d’histoire (2020, avec Fanny Gallot), « Le genre dans les mondes caribéens », CLIO Femmes Genre Histoire (2019, avec Clara Palmiste). Elle aussi coordonné le Rapport à la ministre des Outre-mer sur les événements traumatiques des Antilles (1959, 1962, 1967) (2016).

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